ADN et Génétique

Génétique, ADN, génomes… :

de quoi s’agit-il et où en est-on ?

Tout ce qu’on lit et entend aujourd’hui dans les media au sujet de la génétique humaine suscite de grands espoirs et aussi de grandes craintes. Le but de ce texte est d’aider à mieux comprendre ce dont il s’agit et les enjeux des nouvelles connaissances dans ce domaine. La génétique devient de plus en plus importante en médecine et dans tous les domaines de la biologie et les enjeux économiques et de société sont majeurs.

Un peu d’histoire et des définitions :

L’hérédité désigne la transmission de caractéristiques biologiques d’une génération à l’autre; elle obéit à certaines lois biologiques connues depuis le 19 ème siècle. Le support moléculaire qui rend possible cette transmission est appelé l’ADN (acide désoxyribonucléïque) ; il est localisé principalement dans le noyau des cellules qui constituent notre corps. La structure de l’ADN est connue depuis 1953 : il s’agit d’un enchaînement de 4 catégories de motifs chimiques (les nucléotides), désignés chacun en abrégé par l’une des 4 lettres désignant leurs composants appelés « bases » : A, T, G ou C. L’enchaînement de ces lettres, comme s’il s’agissait d’un alphabet à 4 lettres peut générer de très nombreuses combinaisons, plus ou moins longues et complexes : cette façon de coder l’information à transmettre est la première caractéristique de l’ADN.
La molécule d’ADN a une forme en double hélice avec deux chaînes en vis à vis appelés brins complémentaires : elle ressemble à une échelle tordue en spirale ; cette structure en double brin permet à la molécule de se dupliquer à l’identique lors de la division des cellules, donc d’assurer la pérennité de l’information, ce qui est la deuxième caractéristique de l’ADN.

Une partie de notre ADN constitue les gènes au sein desquels les combinaisons des 4 lettres correspondent au codage d’une information génétique, nécessaire, après traduction dans les cellules, à la production de l’ensemble des protéines, enzymes, hormones, récepteurs etc. qui constituent notre corps. Faire la séquence de l’ADN consiste à découvrir ces enchaînements des 4 lettres. L’ADN est localisé dans les cellules principalement au sein des noyaux de ces cellules où, associé à d’autres molécules, il forme les chromosomes ; ces chromosomes sont au nombre de 23 paires dans l’espèce humaine et chacun de nous possède un chromosome de chaque paire en provenance de sa mère et un en provenance de son père.
L’ADN existe dans toutes les espèces vivantes (plantes, micro-organismes, animaux) où il joue aussi le rôle de support de l’information génétique transmise ; certaines séquences sont communes à de nombreuses espèces et correspondent souvent à des fonctions cellulaires de base communes à de nombreux êtres vivants, d’autres sont plus spécifiques d’une ou de quelques espèces. Ainsi l’ADN humain ne diffère que de 3 % de celui de singes. C’est l’organisation chromosomique, notamment l’ordre des gènes qui est spécifique d’une espèce. Quelques chiffres : l’ ADN dans une cellule humaine pèse 7 millionièmes de millionième de gramme (picogramme), chaque brin est constitué de 3 milliards de paires de bases, recouvre 1 m si l’on déroule la molécule, et plus de 90 % d ’ADN est non codant et ne correspond donc pas aux gènes eux-mêmes.
Combien de gènes chez l’homme ? Le nombre n’est pas précisément connu, mais retenons un ordre de grandeur de 50 000 gènes.

Tous les êtres humains ont globalement la même organisation chromosomique et les mêmes catégories de gènes ; cependant ceux-ci peuvent différer légèrement dans leur séquence d’un individu à l’autre : un exemple simple est représenté par les groupes sanguins. Tous les humains ont les gènes qui permettent de coder ces groupes sanguins, mais on peut être A, B ou O, Rhésus positif ou négatif. On parle de polymorphisme (ce qui veut dire : plusieurs formes). Certaines de ces variations peuvent être responsables de maladies ou de prédisposition à des maladies. La plupart correspondent plutôt à des variations non pathologiques, bases de la diversité humaine. La diversité visible (taille, forme couleur etc.) n’est codée que par un petit nombre de gènes, la plus grande diversité étant invisible. Au niveau des populations les diverses formes des gènes sont réparties différemment, certaines étant plus fréquentes que d’autres ; par exemple on sait depuis longtemps que le groupe 0 Rhésus négatif est bien plus fréquent dans la population Basque qu’ailleurs.

On peut s’imaginer le génome (ensemble de l’information génétique d’une espèce, par exemple l’espèce humaine) comme un immense parking à étages où les gènes sont les emplacements des véhicules ; sur chaque emplacement on trouve une voiture, un vélo, un camion ou un autobus adapté à l’emplacement (ce sont les gènes) ; mais ces véhicules peuvent sur le même emplacement être une même voiture mais de couleur différente ou ayant une option supplémentaire etc. Cette image permet de mieux comprendre le polymorphisme et comment ainsi, chacun de nous a une combinaison particulière qui fait qu’il est unique au plan biologique. C’est ainsi qu’on peut déterminer les empreintes génétiques d’une personne, qui lui sont propres.
On peut donc dire que le génome est ce qu’il y a de plus partagé entre les humains puisque nous avons tous un génome humain avec ses caractéristiques générales, c’est pourquoi l’UNESCO a déclaré que le génome humain était « patrimoine de l’humanité » ; et en même temps ce qu’il y a de plus privé puisque chaque combinaison est unique, à l’exception du cas des vrais jumeaux.

Les progrès des sciences, notamment en biologie, mais aussi en informatique, ont permis depuis les années 1980 de lancer de larges programmes de recherche appelés « projets génome », dans diverses espèces, notamment chez l’homme. D’ici quelques mois ou au maximum quelques années, l’ensemble des séquences des gènes, les séquences entre les gènes (comme les allées entre les places d’un parking), et l’ordre de tous ces gènes seront connus pour l’homme.

Les grandes étapes :

Quelques étapes historiques du point de vue des techniques qui ont permis d’avancer :

  • l’extraction et la purification de l’ADN des cellules, la découverte des enzymes de restriction, véritables ciseaux biologiques à ADN, qui ont permis son étude,
  • l’amplification d’ADN par une réaction in vitro appelée « polymérisation en chaîne » ou PCR en 1985, qui a permis de miniaturiser la plupart des techniques, donc de travailler à partir d’une très petite quantité d’ADN, par exemple extrait d’une seule cellule, d’un cheveu…,
  • la découverte de marqueurs dits « microsatellites », véritables bornes sur le génome, qui ont permis d’avancer dans la cartographie des génomes,
  • actuellement le développement de « puces à ADN », qui permettent sur une très petite surface inférieure à 1cm2 sur laquelle on fixe chimiquement des séquences choisies de tester d’un coup plusieurs milliers de caractéristiques génétiques.

Toutes ces étapes ont été des avancées marquantes qui correspondent à des bonds en avant de la connaissance. C’est d’ailleurs ainsi que progressent la plupart des sciences, en fonction de l’avancée des technologies.

Le séquençage est une étape importante des connaissances, mais une étape seulement. On peut en effet s’imaginer qu’on se retrouve devant un livre de 23 chapitres (un par chromosome), mais qu’ils n’ont ni majuscules, ni paragraphes, ni ponctuation, ni tailles de caractères différentes : cela aboutit à quelque chose d’incompréhensible ! Tout le travail qui a déjà commencé et qui constitue ce que l’on appelle la génomique consiste à repérer ce qui permet d’organiser cette information, de la comprendre et de définir ainsi les fonctions des gènes. Ce n’est que lorsque l’on a compris à quoi sert chaque gène que l’on peut intervenir en proposant par exemple des méthodes de diagnostic, des traitements nouveaux s’appuyant sur l’information codée par les gènes, dans le cas d’une maladie. On conçoit que l’informatique joue un rôle majeur dans tout ce travail : on parle de bioinformatique. On conçoit aussi que ce travail demande de nombreux participants et des équipements spécifiques : les équipes s’organisent, travaillent en commun. Ainsi pour faciliter ce travail, des collaborations se sont mises en place sous forme de « Génopoles » qui se proposent de mettre en commun des moyens techniques et des compétences, pour progresser plus vite et pour favoriser le passage rapide à des applications utiles. Toulouse a été reconnu comme l’un des génopoles français.

Il faut aussi étudier et caractériser les variations de ces gènes (les polymorphismes) et le retentissement de ces variations sur les fonctions des gènes. Cela suppose d’étudier l’ADN de nombreuses personnes, malades ou non ; vient ensuite l’étude des modes d’interactions entre les gènes et les facteurs d’environnement (agents infectieux, alimentation etc.). Donc c’est tout un champ scientifique qui est à l’œuvre ; de plus compte tenu des perspectives d’application, des réflexions ont lieu dans des comités d’éthique, des milieux professionnels scientifiques, médicaux, juridiques, des débats publics car les modalités d’application des connaissances génétiques en santé relèvent de la société entière.

Des connaissances pourquoi faire ?

Si le moteur premier de toute recherche est l’avancée des connaissances pour mieux comprendre le fonctionnement du monde qui nous entoure et le nôtre, les connaissances génétiques actuelles ont déjà nombre d’applications et d’autres se préparent.

En effet si décoder les gènes ne revient pas à décoder l’homme qui se forge non seulement à partir de ses éléments biologiques, mais dans un contexte familial et de société il est vrai que la connaissance de caractéristiques génétiques d’une personne, d’une part ne concerne pas qu’elle, mais aussi ses parents et ses enfants présents ou futurs, d’autre part doit être protégée d’utilisations discriminatoires.

Les applications de la génétique permettent ou permettront, par exemple en santé :

  • de prédire dans certains cas la survenue d'une maladie génétique (il existe environ 5000 maladies génétiques, la plupart rares, qui dépendent de formes particulières d’un seul gène ; par exemple mucoviscidose, myopathies, certains cancers rares etc), dans d’autres cas une prédisposition plus ou moins forte à développer d’autres maladies dont la génétique ne représente qu’une partie du mécanisme (maladies cardio-vasculaires, diabètes etc) : ce sont les maladies plurifactorielles,
  • de comprendre le mécanisme d’apparition ou d’évolution de maladies, ce qui peut ouvrir la voie de nouveaux médicaments actifs à certaines étapes du développement de la maladie ,
  • d’intervenir sur les gènes ou d’utiliser certains gènes comme médicament pour corriger des dysfonctionnement : c’est l’objectif des thérapies géniques,
  • de pouvoir adapter des traitements en fonction de la réponse attendue ou de la prédisposition plus ou moins grande selon les personnes à développer des effets secondaires néfastes suite à la prise d’un médicament : on parle de pharmacogénétique.



A côté de ces applications faut-il avoir peur des utilisations déviantes ?

On parle de brevets sur les gènes, mais le corps humain n’est pas en droit commercialisable ! Comment concilier les nécessaires développements industriels et ce principe de dignité ? De nombreux débats ont lieu à ce sujet.

On se demande comment éviter à long terme que des discriminations puissent être faites par des sociétés d’assurance qui pour l’instant en France n’ont pas le droit d’utiliser des résultats de tests génétiques, mais ce n’est pas le cas dans tous les pays. Il faut aussi éviter par exemple qu’ils puissent être utilisés dans un sens discriminatoire par des employeurs etc.
En dehors de ces déviations, l’utilisation de la génétique au niveau individuel ou familial, qui permet de lever une partie du voile sur le futur, par exemple pour mieux connaître ses risques par rapport à ses choix de vie, les applications du diagnostic anté-natal, sont des questions importantes qui requièrent de la vigilance pour éviter une nouvelle forme d’eugénisme.

On voit donc que débat et réflexion sont au rendez-vous au même titre que science et technologie, et il est particulièrement important d’y être attentif compte tenu des vastes enjeux économiques et de société sous-tendus par la génétique.

Dr Anne Cambon-Thomsen
Directrice de Recherches au CNRS, Inserm U 518, Toulouse
La lettre Bulletin mensuel de la communauté municipale de santé
n° 39 – Septembre 2000
n° 40 – Octobre 2000



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Date de création : 21/09/2004 Date de mise à jour : 23/04/2010